Dans une interview au Financial Times, hier le Sécrétaire d'Etat américain John Kerry a déclaré que la Conférence de Paris sur le Climat ne déboucherait pas sur un traité ni sur des engagements juridiquement contraignants en matière d'émission de gaz à effet de serre.
A deux semaines de son ouverture, cette déclaration sonne-t-elle le glas de la COP21 ? Pas vraiment. Les négociateurs sont conscients depuis longtemps que Barack Obama n'a pas les moyens politiques de faire ratifier un accord sur le climat. Mais d'autres voies peuvent exister...
> Pour plus de détails sur la COP21 et ses implications politiques pour les années à venir, vous pouvez desormais consulter mon analyse de l'Accord de Paris
Ratification impossible
En effet, pour avoir une portée juridique, un accord international doit être non-seulement signé par les négociateurs mais aussi ratifié par les pays signataires. Et la procédure de ratification fixée par la Constitution des États-Unis est particulièrement contraignante puisque les traités signés par le président doivent obtenir une majorité des deux tiers au Sénat avant d'entrer en vigueur (c'est l'article 2, section 2, alinéa 2 de la Constitution des États-Unis).
Or en novembre 2014, à l'occasion des élections de mi-mandat, Barack Obama a perdu sa majorité au Sénat. Les républicains, qui étaient déjà majoritaires à la Chambre des représentants, contrôlent désormais l'ensemble du Congrès. Cette cohabitation réduit fortement la liberté d'action du président américain sur tous les sujets qui ne font pas l'objet d'un consensus bipartisan. Parmi ceux-ci : le climat... Ça tombe mal : l'adoption d'un accord international sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre est l'enjeu principal de la COP21 !
Composition du Sénat américain fin 2014 : 53 républicains, 45 démocrates et 2 indépendants |
On voit donc se profiler un scénario somme toute classique depuis le Traité de Versailles en 1919 : le président américain s'engage dans les négociations et pèse fortement sur le résultat mais ne parvient pas à le faire ratifier, laissant un système international mort-né ou du moins en grand danger. Déjà en 1997, le protocole de Kyoto a connu cette mésaventure : alors qu'il a été largement modelé pour plaire aux États-Unis (notamment avec le système de permis négociables), le président Clinton a été incapable d'en obtenir la ratification.
Résultat : l'entrée en vigueur du protocole a été retardée jusqu'en 2004 et sa portée a été largement diminuée.
Il faut donc se rendre à l'évidence :
"La majorité républicaine au congrès rend très difficile un accord contraignant sur le climat à la COP21. "
La piste de l'executive agreement
Un traité international semble donc inaccessible, mais qui dit que l'accord de Paris doit prendre cette forme ? Le mandat de Durban, précise simplement que le texte doit être "un protocole, un autre instrument légal ou une solution concertée ayant une force légale".
Par ailleurs, aussi stricte que paraissent la Constitution américaine, il existe une subtilité : certes les traités doivent être ratifiées par le Sénat mais pas les "executive agreement". La différence entre un traité et un executive agreement ? Aucune en droit international : les deux engagent les États-Unis. Il existe de nombreux précédents d'accords internationaux sur l'environnement conclus de cette manière (par exemple l'Air Quality Agreement avec le Canada en 1991 ou très récemment la Convention de Minamata). En droit national, c'est une autre affaire : un executive agreement n'est possible que dans le domaine de compétence que la constitution, les lois ou les traités existants donnent au pouvoir exécutif. Cela impose certaines limites aux engagements que pourrait contenir l'accord de Paris, en particulier il semble difficile pour le président américain d'accepter une limitation des émissions de gaz à effet de serre pour son pays ou de prendre de nouveaux engagements financiers (pour plus de détails voir cette étude). Or ce sont justement les deux points-clés du mandat de Durban !
Le risque est évidemment que les négociateurs américains, conscients de cette situation, fassent pression pendant la COP21 pour un accord minimal voire un simple engagement politique sans portée légale.
Washington, largement hors-jeu jusqu'en 2017
Mais ce n'est pas une fatalité : Barack Obama d'être un bon tacticien, capable de s'appuyer sur ses prérogatives de président et sur les lois déjà existantes pour faire bouger les choses. Lorsque son American Clean Energy and Security Act, qui visait une baisse de 83% des émissions de gaz à effet de serre entre 2005 et 2050, a été mis en échec au Sénat (pourtant démocrate à l'époque), il a su s'appuyer sur le Clean Air Act de 1963 pour passer outre et réglementer quand même les émissions de gaz à effet de serre des centrales à charbon .
Les républicains de leur coté peuvent difficilement contrarier ces efforts car, malgré leurs victoires, ils ne peuvent faire adopter de loi qu'avec l'accord ou du moins la neutralité du président. En effet, ils leurs manquent 7 sénateurs pour contourner le puissant mécanisme d'obstruction dont est doté le Sénat. Et même s'ils y parvenaient, le président dispose d'un droit de veto sur les nouvelles lois qui ne peut être renversé que par une "super-majorité" des deux tiers dans les deux chambres dont, là encore, les républicains ne disposent pas.
Composition de la Chambre des représentants début 2015 : 247 républicains, 188 démocrates |
Il ne faut pas oublier que le système américain est basé sur le principe de "checks and balances" : chaque pouvoir, exécutif, législatif et judiciaire, a un droit de regard sur les autres et les moyens de les neutraliser. En cas de cohabitation, ce système devient rapidement une fabrique de l'immobilisme. Jusqu'aux élections de 2016 et à la prise de fonction du nouveau président en janvier 2017, la situation aux États-Unis est pratiquement gelée : le président Obama ne peut ni engager son pays par un traité international ni faire adopter une loi ambitieuse sur le changement climatique (ou sur n'importe quel autre sujet d'ailleurs), les républicains eux ne peuvent pas revenir sur ce qui a déjà été fait.
Après 2017 ? Et bien tout dépend des résultats des élections présidentielle et de la nouvelle majorité au Congrès...
Peut-on encore sauver la COP21 d'un accord minimal ?
La déclaration de John Kerry ne fait que confirmer ce que les diplomates savaient déjà : les négociateurs américains ont depuis longtemps fait savoir qu'ils rechercheraient un accord ne nécessitant pas la ratification du Sénat. Ce qui ne laisse ouverte que la voie de l'executive agreement, ou pire d'un simple accord politique sans portée juridique comme à Copenhague.
Ces options auraient un avantage considérable : rompre avec l'isolement des États-Unis (et accessoirement permettre à Barack Obama de sauver la face en préservant sa stature de défenseur du climat sans risquer l'humiliation d'un rejet par le Sénat). Mais elles impliquent probablement de revoir à la baisse le niveau d'ambition de la COP21 et malgré, sa bonne volonté, le président américain risque d'offrir ainsi une porte de sortie honorable aux partisans du laisser-faire climatique.
Un des grands enjeux du futur accord de Paris est donc de tailler sur mesure un texte qui puisse rentrer dans le cadre d'un executive agreement tout en restant le plus ambitieux possible.
Publié le 17 novembre 2014 par Thibault Laconde, dernière mise à jour le 12 novembre 2015
Crédit photo : By Joost J. Bakker [CC-BY-2.0], via Wikimedia Commons
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