Il y a un peu moins d'un mois, le prince Mohammed ben Salmane annonçait que l'Arabie Saoudite envisage de privatiser Saudi Aramco, la compagnie pétrolière du royaume.
Cette nouvelle est passée relativement inaperçue en dehors de quelques cercles spécialisés, et pourtant...
Les géants du pétrole ne sont pas ceux que vous croyez
Vous n'êtes peut-être pas familier avec ce nom : pour le grand public, le pétrole évoque des entreprises comme Exxon, Total, BP ou Shell... Mais malgré leur poids économique (Total est la première capitalisation du CAC40, Exxon a un chiffre d'affaire équivalent au PIB de la Colombie...), les majors occidentales sont loin de dominer le marché des hydrocarbures : elles font pratiquement figure de PME familiale comparées aux compagnies pétrolières nationales. Crées pour la plupart dans les années 70, ces entreprises publiques sont parvenues à repousser les grands pétroliers des pays développés vers des gisements marginaux et généralement peu rentables. Aujourd'hui, les CPN contrôlent les 3/4 de la production mondiale de pétrole et 90% des réserves, les ordres de grandeurs sont les mêmes pour le gaz.
Leurs noms ? NIOC en Iran, Qatar Petroleum, PDVSA au Venezuela, Sonatrach en Algérie, Rosneft en Russie...Et, bien sur, Saudi Aramco, la plus grande de toutes.
La gestion d'Aramco est opaque mais ce qu'on en sait défie les superlatifs : à elle seule elle produit un huitième du pétrole mondial (2.5 fois plus qu'Exxon) et possèderait 15% des réserves (10 fois plus qu'Exxon).
Aramco n'est pas cotée, impossible donc de lui donner une valeur mais ceux qui s'y risquent tablent en général sur plusieurs milliers de milliards de dollars, soit une demi-douzaine de Google ou d'Apple.
De quoi Saudi Aramco est-il le nom ?
L'histoire d'Aramco épouse l'histoire du pétrole. C'est d'abord celle de pétroliers américains exclus de Mésopotamie par le Traité de San Remo et qui s'en vont prospecter plus loin. En 1933, une des compagnies issues du démantèlement de l'empire de Rockefeller, la Standard Oil of California obtient une concession en Arabie Saoudite. Pour l'exploiter, elle crée une filiale qui prendra dix ans plus tard le nom d'Arabian-American Oil company, ou Aramco. En 1938, après cinq années de prospection infructueuse, le pétrole jaillit finalement à Dhahran.
Le 14 février 1945, le roi Ibn Saoud rencontre Roosevelt à bord du croiseur Quincy. Le président américain garantie la sécurité de la dynastie saoudienne qui s'engage en échange à approvisionner les États-Unis en énergie. Aramco hérite au passage d'un monopole de 60 ans sur les hydrocarbures saoudiens.
L'entreprise devient le carrefour des majors américaines : en plus de la Standard Oil of California (futur Chevron), Texaco a pris une participation dès 1936, suivie en 1948 de la Standard Oil of New Jersey (qui deviendra Exxon) et de Socony Vacuum (Mobil).
Mais les rapports de force commencent déjà à changer : en 1950, les Saouds menacent de nationaliser Aramco, le projet est abandonné contre une augmentation de leurs royalties et le transfert du siège de la compagnie de New York à Dharhan.
En 1973, le gouvernement saoudien repart à l'assaut en achetant progressivement des parts d'Aramco. La prise de contrôle est achevée en 1980, Aramco qui était encore immatriculée dans le Delaware devient une entreprise 100% publique de droit saoudien.
Cette nationalisation diffèrent de celles qui avaient lieu au même moment dans d'autres pays de l'OPEP. Aramco passe sous pavillon saoudien mais conserve sa culture d'entreprise : la langue de travail y est toujours l'anglais, les postes clés restent ouverts aux étrangers, un certain libéralisme règne même dans ses installations... qui sont, par exemple, le seul endroit dans le royaume où on peut voir une femme conduire. Résultat : l'entreprise se distingue des autres compagnies nationales et du reste de l'administration saoudienne par son efficacité et une relative absence de corruption.
La portée d'une privatisation d'Aramco
Il n’empêche qu'Aramco est géré de façon extrêmement opaque. Elle fournit la grande majorité du budget du royaume mais ne publie pas de résultats. Beaucoup d'incertitude existent aussi sur l'état réel de ses réserves.
Et c'est là que le bât blesse : pour convaincre les investisseurs, l'entreprise devrait se livrer à un exercice de transparence sans précédent depuis sa nationalisation. Pas sur que les saoudiens soient près à livrer les clés de cet État dans l’État...
Beaucoup d'hypothèses circulent en ce moment sur l'intention des saoudiens, les actifs qui pourraient être mis en bourse ou même la faisabilité de l'opération. Une chose est certaine : si elle a lieu, l'ouverture du capital d'Aramco marquerait une rupture avec la géoéconomie du pétrole héritée de du XXe siècle.
Pour renflouer leurs budgets entamés par la baisse des cours du pétrole, pour introduire une dose bien nécessaire de transparence et de bonne gestion, voire pour convertir en cash des champs de pétrole dont la valeur n'est plus si certaine, d'autres pays producteurs pourraient se mettre (ou se remettre) à réflechir. PEMEX, la compagnie nationale mexicaine, attend toujours son entrée en bourse votée en 2013, le secteur pétrolier iranien s'ouvre lui aussi au privé, la privatisation de Petrobras au Brésil a refait parler d'elle fin de 2015...
Il est encore difficile de dire exactement quoi, mais il semble bien qu'il se passe quelque chose dans le monde du pétrole.
Publié le 8 février 2016 par Thibault Laconde
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