J'ai déjà consacré plusieurs articles aux liens entre énergie et croissance économique. Je dois dire que c'est un sujet qui m'intéresse particulièrement en ce moment. Je vais sans doute y revenir dans les semaines qui viennent mais j'aimerais d'abord faire, disons, une remarque liminaire.
Combien d'années les réserves de ressources non-renouvelables peuvent-elles soutenir notre économie ? C'est une question très intuitive, y répondre devrait être un pré-requis pour tous les choix économiques - un peu comme on jette un coup d'oeil au niveau de batterie de son portable avant de sortir ou au réservoir de sa voiture avant un trajet... Et pourtant, j'ai eu beaucoup de mal à trouver une réponse satisfaisante à cette question. Pour la plupart des ressources les chiffres sont introuvables : combien d'années de consommation de charbon, de tugstène, d'étain ou d'aluminium nous reste-t-il ? Bonne chance pour trouver une réponse... Et lorsque les chiffres existent, comme c'est le cas pour le pétrole, il me semble que le mode de calcul est fondamentalement en contradiction avec nos attentes économiques.
Les pétroliers seraient-ils décroissants (ou a minima acroissants) ?
L'estimation des réserves est un problème complexe sur plan géologique, mais aussi d'un point de vue économique : une ressource même prouvée géologiquement n'a de valeur économique que si son exploitation (coûts d'exploration, de développement, d'extraction et de transport) est plus rentable que sa non-exploitation. Des modèles existent (comme la règle d'Hotelling) mais ils sont, à mon avis, largement obsolètes.
Mais laissons cela de coté pour l'instant : imaginons, par exemple, que le chiffre des réserves prouvées de pétrole tel qu'il est fourni par diverses organisations soit fiable. Savoir que 1.655 milliards de barils sont disponibles (estimation 2014 de l'agence américaine de l'énergie) n'est pas très parlant. C'est pourquoi ce chiffre est généralement exprimé en années de consommation au rythme actuel : 50 en l'occurrence puisque qu'en 2013 le monde (toujours selon l'EIA) a brûlé 91.2 millions de barils par jours (1.655.000/(91.2x365)≈50).
Voilà un chiffre bien plus parlant. Les optimistes diront qu'il nous laisse largement le temps de découvrir des substituts ou de nouvelles réserves, les pessimistes que la fin du pétrole est pour 2065, et les rationnels que de toutes façon c'est bien plus que ce que l'on peut utiliser sans dérégler complètement le climat.
Mais à peu près tous il aura échappé que cette conversion d'une réserve physique en année de consommation repose sur une hypothèse surprenante : celle que notre consommation de pétrole va rester stable.
Curieux en effet de considérer que la consommation de pétrole, de cuivre, de tantale, de cabillaud ou de toute autre ressource naturelle est destinée à rester stable alors que dans le même temps on attend de notre économie qu'elle croisse à un rythme constant, c'est à dire que la production suive une courbe exponentielle.
Je ne sais pas pour le cabillaud, mais pour l'énergie l'élasticité de la consommation par rapport au produit intérieur brut (PIB) est faible, c'est-à-dire que la consommation d'énergie augmente grosso-modo au rythme de la croissance économique.
Une simple comparaison des courbes permet de s'en assurer : loin d'être constante, la consommation de pétrole suit le PIB, aussi bien à la hausse qu'à la baisse :
De combien d'années de réserves dispose-t-on vraiment ?
Ne faudrait-il pas corriger la durée de vie des réserves par la croissance attendue ? Dans ce cas, le nombre d'année de réserve ne s'écrit plus :
Mais :
Bon, on y perd un peu en simplicité, mais ce qui importe surtout c'est le résultat : si on considère que la croissance à long-terme s'établira autour de 3% (dixit l'OCDE), la durée de vie de nos réserves de pétrole n'est plus de 50 ans mais de 30 ans.
On peut faire le même calcul avec quelques-unes des ressources les plus courantes :
Comme d'habitude, vous pouvez consulter et vérifier les calculs et les sources des données utilisées : il suffit de cliquer ici.
Derniers ajustements
J'en entend au fond qui disent que cette évaluation n'est pas beaucoup plus exacte que la précédente parce que :
- Même si l'efficacité énergétique progresse faiblement, à long-terme la consommation de pétrole croit sensiblement moins vite que le PIB,
- De nouveaux gisements sont découverts régulièrement et viennent s'ajouter à l'évaluation des réserves.
Par exemple dans le cas du pétrole, si on considère que les gains d'efficacité vont continuer selon leur rythme moyen depuis 2000 (1% par an environ) et que la croissance économique est de 3%, la croissance de la consommation va être de 1.97%. La durée de vie des réserves prouvées de pétrole passe ainsi de 30 ans à 34 ans... royal !
Sur le second point : je l'ai dit en début d'article, l'évaluation des réserves est une question compliquée. Mais une chose est certaine : elles sont finies, cela n'aurait donc pas de sens de leur affecter un taux de croissance. Par contre vous pouvez jouer sur ce paramètre en prenant l'évaluation qui vous convient. Mais ne vous attendez pas à des miracles : le moment où une croissance exponentielle atteint ses limites est en effet peu sensible à la valeur exacte de la limite.
Il y a certainement un théorème portant le nom d'un économiste célèbre pour ça, mais pour toute personne ayant quelques notions mathématiques c'est une évidence. Par exemple, si on considère que les réserves de pétrole sont finalement deux fois plus élevées que leur évaluation actuelle, leur durée de vie passe seulement de 30 à 46 ans. Si on veut assurer un siècle de consommation au rythme de 3% de croissance par an, il faudrait multiplier les réserves par au moins 10 !
Ce sont là deux arguments typiques du "laisser-faire", en sens inverse une troisième objection existe : ce mode de calcul ne nous dit rien de la faisabilité de l'exploitation au vue de contraintes qui ne soient ni géologiques ni strictement économiques. Par exemple l'évaluation des ressources par l'USGS, que j'ai beaucoup utilisé dans cet article, nous apprend que nous disposons de vastes réserves d'amiante, est-ce que cela signifie que cette industrie est pérenne ? Vraisemblablement non, car nous connaissons désormais bien les effets sur la santé de cette substance même à très faible dose ce qui limite fortement l'utilisation que nous pourrons en faire à l'avenir.
De la même façon, les réserves de gaz, de charbon ou de pétrole ne pourront pas continuer être exploitées au rythme actuel compte-tenu de l'effet de leurs utilisations sur le climat.
C'est ici que les modèles "classiques" touchent le plus clairement à leurs limites... Et que d'autres façons de penser et de calculer doivent être inventées. C'est précisément la question qui m'occupe en ce moment et à laquelle je reviendrai dans de prochains articles.
Publié le 9 février 2015 par Thibault Laconde
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