Le secteur électrique est responsable d'un quart des émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine. Au cœur du problème : le charbon, qui reste la première source d'électricité à l'échelle de la planète.
Le sort des centrales à charbon existantes est donc un enjeu majeur dans la lutte contre le changement climatique et la mise en œuvre de l'Accord de Paris. Devrait-on, comme certains le recommandent, les remplacer par des centrales à gaz ?
> Cet article est un extrait d'une étude complète des implications économiques et technologiques de l'Accord de Paris.
L'électricité, enjeu majeur de la mise en œuvre de l'Accord de Paris
Si nous voulons atteindre les objectifs de l'Accord de Paris, il nous faut baisser nos émissions de gaz à effet de serre d'au moins 4% par an jusqu'en 2050. La production d'électricité présente trois caractéristiques qui la place au cœur de ce défi :
- Elle est responsable d'environ un quart des émissions de gaz à effet de serre à l'échelle mondiale, ce qui en fait un des premiers contributeurs au changement climatique, à peu près à égalité avec l'agriculture et les transports.
- Il existe un large choix de technologies permettant de produire de l'électricité sans émissions de gaz à effet de serre : hydroélectricité, nucléaire, biomasse, "négawatt", éolien et solaire photovoltaïque (même si certaines questions liées à l'intermittence restent à résoudre pour les deux derniers). D'autres technologies pourraient aussi arriver à maturité prochainement par exemple la capture du carbone ou la production de gaz sans émissions (biogaz ou méthanation).
- Le secteur présente une très forte inertie liée à la durée de vie des infrastructures : une centrale électrique fonctionne généralement pendant plusieurs décennies. Il faut donc prendre maintenant des décisions d'investissements qui décideront des émissions de gaz à effet de serre au milieu du siècle.
Le gaz peut-il être une "énergie de transition" ?
Une proposition fréquemment évoquée pour réduire les émissions liées à l'électricité consiste à effectuer une transition en deux étapes : d'abord du charbon vers le gaz, ensuite du gaz vers des énergies décarbonnées. Cette stratégie peut paraitre intéressante parce que, à énergie équivalente, le gaz émet beaucoup moins de dioxyde de carbone que le charbon. Il pourrait donc servir d'énergie de transition en attendant que d'autres solutions, plus satisfaisantes, soient disponibles.
Pour évaluer la compatibilité de cette proposition avec les objectifs de Paris, supposons que la construction de centrales à charbon cesse immédiatement et que celles qui existent soient systématiquement remplacées par des centrales à gaz lorsqu'elles arrivent en fin de vie, ces nouvelles centrales à gaz étant à leur tour remplacées par des énergies décarbonnées lorsqu'elles arrivent au terme de leur existence.
On prend ces hypothèses :
Les émissions de gaz à effet de serre liées au parc de centrales à charbon actuel et à son remplacement seraient alors les suivantes :
Le remplacement du parc de centrales à charbon permet effectivement de diminuer les émissions mais pas suffisamment pour se conformer aux objectifs de Paris : on obtient une baisse de 27% entre 2015 et 2050, bien loin de la division par 4 qui serait nécessaire (au moins).
De plus, le gain immédiat permis par le remplacement d'une centrale à charbon par une centrale à gaz se paient par des émissions à long terme Remplacer les centrales à charbon par des centrales à gaz, c'est un peu comme demander un allongement de crédit à votre banquier : sur le coup vos mensualités vont baisser mais vous allez payer plus longtemps et, au total, beaucoup plus...
Dans ce scénario, la dernière centrale à gaz "de transition" fermerait ses portes à la fin du XXIe siècle. Au total, le parc actuel de centrales à charbon serait responsable de l'émission de près de 500 milliards de tonnes de dioxyde de carbone (ou 500GTeqCO2) entre 2015 et 2100, dont 270GTeqCO2 par les centrales à charbon et 230 par les centrales à gaz qui les remplacent. Il absorberait donc à lui seul les deux tiers du budget carbone qu'il nous reste si nous voulons limiter le réchauffement de la planète à 2°C.
Seule solution : une transition directe vers une électricité décarbonnée
Ce résultat ne dépend pas de la durée de vie des centrales à gaz : même en admettant qu'elles ne sont construites que pour 20 ans, la baisse des émissions serait de seulement 36% en 2050 et le cumul sur le siècle resterait de 390GTeqCO2. L'accélération de la fermeture des centrales à charbon n'aide pas plus : si on les ferme à leur trentième anniversaire pour les remplacer par des centrales à gaz construites elles aussi pour 30 ans, la baisse des émissions au milieu du siècle est limitée à 32% (cumul : 430GTeqCO2).
En fait, on obtiendrait un meilleure résultat (quoique encore insuffisant) en prolongeant légèrement les centrales à charbon pour pouvoir les remplacer directement par des solutions décarbonnées. Par exemple en leur donnant une durée de vie de 50 ans puis en leur substituant des énergies sans carbone, les émissions baisseraient de 41% en 2050 par rapport à 2015, les émissions totales entre 2015 et 2100 seraient aussi plus basses à 380GTeqCO2.
Quelques scénarios de transition électrique et leurs impacts climatiques |
L'utilisation du gaz comme énergie de transition est donc manifestement incompatible avec les objectifs de l'Accord de Paris. Si les États tiennent leurs engagements, les projets de centrales à gaz qui sont lancés aujourd'hui devront être retirés avant leur fin de vie et ne possèdent probablement pas de rationalité économique.
Si on souhaite que les émissions liées au parc de centrales à charbon baissent de 4% par an afin de contribuer équitablement à l'effort nécessaire pour remplir les objectifs de Paris, un scénario possible consisterait à fermer ces centrales lorsqu'elles atteignent leur trentième année et à les remplacer directement par des alternatives sans carbone (renouvelables, nucléaire, CCS, baisse de la demande, etc.). Les objectifs de Paris impliquent donc une transition électrique rapide et sans étape intermédiaire : dans ce scénario, la dernière centrale à charbon fermerait avant 2050.
Cette échelle de temps n'est pas complètement irréaliste : en France, la transition vers le nucléaire s'est fait en une vingtaine d'années et l'Allemagne étudie en ce moment la possibilité de se passer du charbon avant 2040.
Publié le 8 avril 2016 par Thibault Laconde, dernière mise à jour le 2 mai 2016
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