Monday, March 21, 2016

Nucléaire charbon prix de lénergie Le vrai et le faux sur la transition énergétique allemande


L'Allemagne reste dépendante du charbon, ici la mine de lignite de Garzweiler avec en arrière plan les centrales de Frimmersdorf et NeurathModèle pour les uns, contre-exemple pour les autres, la politique énergétique allemande et sa "sortie du nucléaire" font paradoxalement plus débat de ce coté-ci du Rhin que de l'autre. Et comme souvent dans le domaine de l'énergie, ces polémiques ont leur lot d'affirmations contradictoires : L'Energiewende carbure-t-il au charbon ? La sortie du nucléaire impose-t-elle à l'Allemagne d'acheter de l'électricité à ses voisins ? Les énergies renouvelables rendent-elles le réseau instable ? L'électricité allemande est-elle la plus chère du monde ?
Pour vous y retrouver sur ces questions et quelques autres voici un vrai-faux sur la politique énergétique allemande.


L'Allemagne est un gros consommateur de charbon

     → Vrai

Le mix électrique allemand repose historiquement sur le charbon, surtout du lignite local mais aussi de la houille importée. Cet héritage explique que la part du charbon dans la production d'électricité allemande reste élevée : 42% contre 26% en moyenne dans l'Union Européenne.
Vu de France ces proportions peuvent paraitre énormes : dans notre pays le charbon ne compte que pour quelques pourcents de la production électrique. Mais ici c'est la France qui est atypique : toutes les autres grandes économies dépendent significativement du charbon. Celui-ci assure par exemple 30% de la production électrique au Japon, 32% en Grande Bretagne, 38% aux États-Unis et la Chine est bien au-delà avec 72% de charbon dans son mix électrique.


La consommation de charbon augmente en Allemagne

     → Faux

En valeur absolue, la production d'électricité à partir du charbon  est pratiquement constante depuis un quart de siècle. Comme dans le même temps la production totale d'électricité a sensiblement augmenté, la part du charbon a baissé régulièrement : elle était de 54% en moyenne dans les années 90, 47% entre 2000 et 2009 et 43% depuis depuis 2010. Difficile d'y voir une hausse... 

Production d'électricité grâce au charbon en Allemagne : valeur absolue et pourcentage de la production totale

Cette tendance de long terme à la baisse n'a été affectée ni par la réunification ni par la décision, prise dans les années 2000, de sortir du nucléaire. Le constat est plus mitigé pour la période qui suit l'accident nucléaire de Fukushima : la baisse de la part du charbon dans le mix électrique allemand semble faire une pause mais sans pour autant repartir à la hausse.



La sortie du nucléaire est une décision précipitée, prise sous le coup de l'émotion après l'accident de Fukushima

     → Faux

Les efforts de l'Allemagne pour se passer du nucléaire s'inscrivent dans un temps très long. La décision politique date des années 2000 et n'a jamais été remise en cause depuis malgré les alternances. Mais même cette décision s'inscrit dans une tendance antérieure : elle a été rendue possible par la construction d'un très large consensus (90% des allemands approuvent la politique énergétique de leur pays) et la création de filières industrielles dans les années 80 et 90.

Alors que vient faire Fukushima là-dedans ? Il y a effectivement eu brève inflexion de la politique allemande en 2010 et 2011. Reprenons la chronologie :
    1. En 2000, la coalition Vert-SPD officialise la sortie du nucléaire par la Convention du 14 juin 2000 qui limite la quantité d'énergie qui pourra être produite par les centrales en service avant leur fermeture. La fin du nucléaire allemand est alors prévue autour de 2020. Cette décision n'est pas remise en cause lorsque les Verts quittent le gouvernement en 2005.
    2. En 2010, la majorité conservatrice menée par Angela Merkel confirme la fin du nucléaire mais assouplit le calendrier. L'Allemagne se donne alors de nouveaux objectifs énergétiques à l'horizon 2050 (c'est ce qu'on a appelé l'Energiekonzept), la fermeture de la dernière centrale nucléaire y est prévue pour 2036.
    3. Quelques mois plus tard, en 2011, l'accident de Fukushima pousse Angela Merkel a revenir au calendrier de 2000. Pendant l'été, une nouvelle série de lois sur l'énergie est adoptée (Energiewende), elle ne remet pas fondamentalement en cause les orientations de l'Energiekonzept mais revient au calendrier des années 2000. La sortie du nucléaire est désormais prévue en 2022 et les 8 réacteurs les plus anciens sont mis à l'arrêt immédiatement.
      Pour une description plus détaillée de ces différentes étapes, vous pouvez lire cet article : Les leçons de la "sortie du nucléaire" allemande pour la transition énergétique française.



      La sortie accélérée du nucléaire signifie un retour aux énergies fossiles

           → Faux


      Le revirement de l'été 2011,et surtout la fermeture immédiate de 8 réacteurs soit près de 8.5GW, a fait dire à de nombreux commentateurs que l'Allemagne serait obligée d'augmenter sa consommation d'énergie fossile. Cette prévision tenait la route à l'époque mais 5 ans plus tard il est clair qu'elle ne s'est pas réalisé.

      Entre 2010 et 2014, les renouvelables ont plus que compensé la baisse du nucléaire en allemagne

      Avec le recul dont nous disposons maintenant, il est clair que les allemands sont en train de gagner leur pari : depuis 2010, les énergies renouvelables ont fait plus que compenser le recul du nucléaire permettant de baisser dans le même temps la production d'électricité d'origine fossile.



      Depuis 2010, c'est la consommation de gaz qui a reculé, pas la consommation de charbon

           → Vrai

      En 2015, la part du charbon dans le mix électrique allemand était de 42% exactement comme en 2010. Dans le même temps, la part du gaz a reculé de 14 à 9%. D'un point de vue climatique, l'inverse aurait évidemment été préférable puisque, à énergie équivalente, le gaz émet à peu près deux fois moins de dioxyde de carbone que le charbon.

      Cette évolution s'explique avant tout par la compétitivité du charbon en Europe par rapport aux autres fossiles. Deux responsables :
      • La baisse du cours du charbon qui est passé de 84$ la tonne au printemps 2011 à environ 60$ aujourd'hui. Cette baisse s'explique par l'exploitation rapide des gaz non-conventionnels aux États-Unis. Celle-ci à fait baisser de l'ordre de 30% le prix du gaz en sortie de puits mais le gaz étant difficilement transportable, la baisse des cours outre-atlantique ne l'a pas rendu plus compétitif en Europe. Au contraire elle a détourné une partie de la production américaine de charbon vers l'export. Plus récemment, le ralentissement de la croissance chinoise accompagné de fortes surcapacités a également tiré le prix du charbon vers le bas.
      • Les ratés du marché européen du carbone : un de ses objectifs était justement de rendre le gaz compétitif par rapport au charbon. Mais le prix de la tonne de CO2 (moins de 5€) est beaucoup trop bas pour cela.
      Les allemands sont bien conscients de ce problème et il est probable que la prochaine étape de leur politique énergétique va être de s'attaquer au charbon. Une consultation sur le sujet est en cours et devrait aboutir à la fin de l'année. En attendant, le gouvernement allemand a déjà décidé l'arrêt de 2.7GW de centrales à lignite dans les 5 prochaines années et la fermeture des mines de houilles avant 2018.


      La sortie du nucléaire se fait au détriment du climat

           → Faux (mais ça se discute)

      Si la part des énergies fossiles reculent dans le mix électrique allemand, les émissions de gaz à effet de serre ne peuvent que baisser. En 2015, les émissions liées à la production d'électricité étaient de 313 millions de tonnes de CO2 contre 320 en moyenne entre 2010 et 2014 et 334 entre 2000 et 2004. Même si cette baisse est modeste, le résultat de 2015 est le meilleur résultat depuis 15 ans à la seule exception de 2009 où la production d'électricité s'était fortement contracté sous l'effet de la crise.

      Cependant, si elle est plutôt neutre pour le climat, la politique énergétique allemande a un coût d'opportunité : à investissement égal, une politique énergétique tournée vers la réduction des émissions plutôt que la sortie du nucléaire aurait pu diviser par deux la consommation de charbon allemande entre 2000 et 2020 et faire baisser les émissions annuelles de carbone de 150 millions de tonnes environ. Au lieu de quoi, la production d'électricité grâce aux énergies fossiles est la même aujourd'hui qu'il y a 20 ans à quelques térawatt-heures près.
      Le choix des allemands a été de faire passer la fermeture des centrales nucléaires avant celle des centrales à charbon. Est-ce le bon ? L'effort allemand ne devrait-il pas être rééquilibré : fermer les réacteurs nucléaires moins vite pour réduire plus rapidement les énergies fossiles ? Ce sont des questions légitimes, alors autant la poser de façon honnête.
       


      L'Allemagne ferme ses réacteurs nucléaires mais compense en achetant l'électricité des centrales françaises

           → Faux

      C'est une idée qu'on entend de temps à autres : la sortie du nucléaire serait rendue possible par l'importation d'électricité venue des pays voisins. A la lecture des statistique cette affirmation apparait totalement fantaisiste. Au contraire, les exportations d'électricité allemande ont explosé depuis le début de la transition énergétique : importatrice nette en 2000, l'Allemagne a exporté 18TWh en 2010 et plus de 50TWh en 2015 !
      En particulier, le solde des échanges avec la France est positif (de 5.9TWh en 2014). C'est donc la France qui achète de l'électricité à l'Allemagne, pas l'inverse.

      (Un lecteur a attiré mon attention sur un paradoxe : Alors que l'Allemagne est exportatrice nette d'électricité vers la France, le solde des flux physiques d'électricité entre l'Allemagne et la France est négatif. L'explication est simple : de l'électricité française peut, par exemple, passer physiquement par l'Allemagne alors qu'elle est destinée au marché belge ou suisse. C'est donc bien le flux contractuel, évoqué plus haut, qui renseigne sur la réalité des échanges.)
       


      Avec un mix électrique qui intègre autant d'énergies renouvelables intermittentes, le réseau allemand est instable

           → Faux

      En 2014, le mix électrique allemand comptait 30% de renouvelable dont presque deux tiers d'éolien (13%) et de solaire (6%) - des énergies dites "intermittentes".
      Il y a encore quelques années, beaucoup d'experts pensaient que les réseaux électriques ne pourraient pas supporter longtemps la progression des énergies intermittentes, celles dont la disponibilité varient en fonction de facteurs extérieurs notamment la météo. Au-delà de quelques pourcents du mix électrique, disait-on alors, ces énergies dégraderaient la sécurité électrique, voire entraineraient l'effondrement du réseau.
      Avec le recul, l'intégration des énergies renouvelables est bien un défi technique (l'Allemagne doit par exemple renforcer son réseau notamment les lignes reliant le nord où les éoliennes sont installées et le sud industriel) et économique (avec des périodes où le prix de l'électricité est négatif) mais elle ne semble plus insurmontable. Aujourd'hui le réseau électrique allemand est un des plus fiable d'Europe. La durée annuelle des coupures y est quatre fois inférieure à celle du réseau français.
       


      L'électricité allemande est parmi les plus chères du monde

           → Faux et vrai à la fois

      Si on regarde le prix de gros, l'électricité allemande est la moins chère d'Europe. C'est logique : d'une part, les centrales à charbon sont déjà amorties et le combustible est peu onéreux, d'autre part les énergies renouvelables ont un coût marginal de production nul qui tire les prix vers le bas.

      Mais si on regarde la facture des consommateurs finaux, l'électricité allemande coute environ 0.3€/kWh ce qui la place parmi les plus onéreuses, c'est par exemple deux fois plus cher qu'en France. En effet, le développement des énergies renouvelables repose sur des prix garantis pendant 20 ans et ce sont les ménages qui payent le plus gros de la différence avec le prix spot via une taxe (l'EEG-Umlage).
      Même si les foyers allemands sont très économes, de telle sorte que leur facture finale est à peu près la même que dans les autres pays européens (en moyenne 978€/an contre 834 pour les français), la transition énergétique à un coût, tout particulièrement pour les les moins aisés qui consacrent une part plus importante de leurs revenus à l'énergie.


      La plupart des chiffres cité dans cet article sont tiré de l'AGEB. Comme d'habitude, vous pouvez accéder au détail des données et des calculs, il suffit de cliquer ici.
      Crédit photo : By Kateer 8 May 2007 (UTC) (Own work) [CC-BY-SA-2.5], via Wikimedia Commons

      Publié le 21 octobre 2013 par Thibault Laconde, dernière mise à jour le 27 juillet 2016 

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