Saturday, August 17, 2013

Paris Climat 2015 létat desprit dans les coulisses de la mobilisation climatique à 6 mois de la COP21


Paris Climat 2015 : symbole de la COP21 sur les murs du ministère des affaires étrangères
Depuis le début de l'année, j'ai observé presque à temps plein les préparatifs de la 21e conférence de l'ONU sur le changement climatique (alias COP21). En 6 mois, la mobilisation a grandi, quelques gros événements (notamment le Business & Climate Summit) ont attiré l'attention des médias, tirant la la COP21 de l'indifférence qu'elle inspirait encore largement fin 2014. Le sujet est devenu "bankable", suscitant de nombreuses vocations qui sont venues s'ajouter aux quelques personnes actives depuis longtemps.
Et bien sur ce n'est qu'un début... le rythme va encore s'accélérer jusqu'à la fin de la conférence dans, presque exactement, 6 mois.

Après avoir longuement déambulé dans ce théâtre en construction et discuté avec bon nombre de ses acteurs, il me semble intéressant de vous donner un aperçu de l'état d'esprit qui prévaut au sein de la petite communauté impliquée dans la mobilisation de la société civile.


Une petite communauté relativement homogène


Mais d'abord plantons le décor : qui sont les personnes qui s'activent autour de la préparation de la COP21 ?

Je m'attendais à trouver un nébuleuse, c'est plutôt une communauté organisée en cercles concetriques avec une hiérarchie établie par l'accès à l'information et aux décideurs : la première couche est composée de la foule des militants, bénévoles et amateurs divers qui n'ont presque aucune prise sur l'événement. Une seconde couche est formée par ceux qui, issus des précédents, sont parvenus à s'ouvrir quelques portes à force d'obstination, ils ont accès aux coulisses mais n'y jouent pas un rôle notable. La troisième est constituée des petites mains : porteurs de projets, chargés de mission, salariés associatifs... ils jouent un rôle actif mais leurs marges de manoeuvres sont limitées. Enfin la dernière couche compte une poignée de "parrains" (et marraines) qui peuvent attirer l'attention des médias par leurs présences et ouvrir la porte des ministères et des entreprises, de telle sorte qu'on les retrouvent presque toujours, à un moment ou à un autre, dans le lancement des initiatives qui émergent (Nicolas Hulot est l'archétype, mais ce n'est pas le seul).
Si on laisse de coté les deux premiers cercles, on se retrouve avec une communauté étonnamment petite compte-tenu de l'ampleur de l'événement : de l'ordre, je pense, d'une centaine de personnes.

L'étroitesse de ce groupe a plusieurs conséquences qui m'ont surpris au cours des dernière mois. La principale c'est la tendance à l'homogénéisation du discours. La plupart des gens se connaissent et se fréquentent même s'ils défendent des positions a priori irréconciliables... Et comme il y a peu d'élus, c'est souvent la cooptation qui permet de passer d'un cercle au suivant, laissant peu de place à des points de vue nouveaux ou des opinions divergentes.
En bref, si on s'en tient aux discours, toute le monde semble d'accord : sans qu'ils en aient forcément conscience, les mêmes éléments de langage, à un peu de wording près, se retrouvent chez un responsable associatif et dans une coordination d'entreprises ou dans la bouche de jeunes militants et chez les vieux habitués qui n'ont raté aucune conférence de l'ONU depuis Rio...


Rappel des objectifs de la COP21 : Un accord contraignant et 100 milliards/an


Quel est ce discours qui domine ? Pour le comprendre, il faut d'abord rappeler les objectifs de la conférence de Paris.

Le premier objectif de ce sommet est de parvenir à un nouvel accord sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (l'accord précédent, conclut à Kyoto en 1997 et entré en vigueur en 2005 a expiré fin 2012), mais pas n'importe quel accord... Celui de Paris devrait être :
  • Juridiquement contraignant : il ne s'agit pas d'énoncer des bons sentiments et de jurer qu'on va faire le nécessaire mais de s'entendre sur un texte qui une fois ratifié s'imposera sur les législations nationales.
  • Universel : tous les pays devraient être concernés alors que le protocole de Kyoto ne fixait des objectifs de réduction que pour les pays déjà industrialisés (et encore, les États-Unis ne l'ont pas ratifié et le Canada s'en est retiré).
  • Capable de limiter la hausse des températures à 2°C par rapport à l'ère pré-industrielle, c'est un engagement pris lors de la COP15 à Copenhague, le chiffre de 2°C est assez arbitraire mais il représente une limite plausible en-dessous de laquelle l'humanité peut encore espérer s'adapter au effet du réchauffement.
Deuxième objectif important de la COP21 : donner aux pays en développement les moyens de sortir de la pauvreté tout en limitant leurs émissions de gaz à effet de serre. Pour cela, il faut trouver 100 milliards de dollars par an auprès des pays développés afin d'alimenter le Fond Vert pour le Climat (encore un engagement chiffré pris à Copenhague).


Personne (ou presque) n'y croit...


Voilà pour les objectifs affichés par la France, qui présidera la conférence. Sont-ils réalistes ?

La réponse à cette question est claire : non. Dans tous les entretiens que j'ai réalisé, j'ai demandé à mes interlocuteurs ce qu'ils attendaient de la COP21, personne n'a repris à son compte ces objectifs. L'opinion la plus courante, me semble-t-il, est que la conférence de Paris aboutira bien à un accord, qu'il sera peut-être universel, probablement pas suffisant pour rester sous les 2°C et certainement pas contraignant.

Pourquoi ? Ce pessimisme traduit une défiance généralisée pour les processus onusien mais aussi des préoccupations géopolitiques. La Russie est souvent citée : elle pourrait être tentée de faire payer les sanctions dont elle fait l'objet dans l'affaire Ukrainienne en sabordant les négociations à Paris, d'autant qu'un accord efficace entraînerait nécessairement une baisse de la consommation d'énergie fossiles et enfoncerait encore plus son économie. Les États-Unis arrivent second dans l'ordre des préoccupations : un accord contraignant nécessiterait une ratification par le Sénat, ratification que le président Obama n'a plus ni le temps ni les moyens politiques d'obtenir. Si cela ne suffisait pas, la Chine est parfois aussi citée comme opposées par principe à tout accord contraignant.

Ce pessimisme s'explique aussi par le traumatisme encore vif de la conférence de Copenhague en 2009 (COP15). Le contexte était alors nettement plus positif : on pouvait croire que la crise serait passagère, le protocole de Kyoto était encore en vigueur, Obama était tout neuf, Sarkozy venait de faire voter le Grenelle de l'environnement... L'enthousiasme était peut-être monté à la tête des participants : la communauté internationale allait enfin se montrer à la hauteur et ne pas laisser passer ce que presque tout le monde appelait le sommet de la dernière chance... Copenhague devait être le grand soir de la lutte contre la changement climatique ! Et puis rien.

Sarkozy et le climat : échec de la conférence de Copenhague (COP15) en 2009
Affiche de Greenpeace pour le sommet de Copenhague

"Paris ne doit pas être un nouveau Copenhague", voilà le mot d'ordre. Pour se prémunir contre une nouvelle déception, il me semble que la plupart des participants ont choisi de ne rien espérer de la conférence de l'ONU, si ce n'est un signe que le sujet existe encore sur la scène internationale.


... Mais tout le monde est content car il y aura "un signal" et "des solutions"


Vous pensez qu'avec de telles perspectives, l'ambiance doit être morose ? Détrompez-vous : après ces sombres présages, votre interlocuteur enchaînera presque toujours sur un "mais en fait c'est pas grave, ce qui compte c'est le signal". Entendez par là qu'il suffit que les gouvernements fassent semblant pour pousser les autres acteurs - entreprises, collectivités, ONG... - à l'action.

L'action, ce sont les "solutions" que la présidence française du sommet a décidé de mettre en avant dès l'année dernière. Le mot d'ordre a été repris et décliné avec zèle : Agenda des solutions, Solutions COP21, crowdvoting de solutions... Les ONG elles aussi ont rejoint la dynamique, même si les plus subversives s'autorisent une petite divergence sémantique : elles réclament des "alternatives" par opposition aux "fausses solutions".
Cette rhétorique des solutions est certainement plus efficace que le catastrophisme pour obtenir l'adhésion des opposants traditionnels aux politiques climatiques. Mais elle tranche dangereusement avec l'urgence de la situation, et elle permet aussi de dédouaner par avance le processus onusien : les négociations ne portent jamais sur des sujets concrets comme les énergies renouvelables, les transports ou l'efficacité énergétique, ceux-ci relèvent des politiques nationales et de la sacrosainte souveraineté des États. Les COP ne connaissent en réalité que 3 sujets : objectifs d'émissions, financement et transfert de technologies. La déclinaison en "solutions" est l'affaire de tout le monde... sauf des négociateurs et des diplomates.

A suivre...



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