Saturday, March 9, 2013

Comprendre le contract for difference et le montage financier du projet nucléaire dHinkley


Le 28 juillet, le Conseil d'Administration d'EDF se réunira pour étudier la décision finale d'investissement de la centrale nucléaire d'Hinkley Point C. Si, comme c'est probable, il donne son feu vert, la construction de 2 EPR commencera dans le sud de l'Angleterre mi-2019.
Ce projet va couter très cher : presque 25 milliards de livres, soit de l'ordre de 1.5% du PIB britannique. Et pourtant, il se fera sans investissement public... un vrai tour de force dans le contexte de forte incertitude qui accompagne le Brexit.
Comment les britanniques sont-ils parvenus à monter ce projet ? C'est ce que nous allons voir.



Au cœur du réacteur : le "contract for difference"


Le financement du projet est basé sur un contrat de différence (contract for difference ou CfD en anglais) inspiré du produit dérivé du même nom dont le secteur financier est familier.
Ce type de contrat permet à un "acheteur" et un "vendeur" de spéculer sur le prix d'un produit à une date donnée sans avoir à acheter ou vendre le produit en question : si à la date d'exécution, le prix est inférieur à celui convenu (ou strike price) l'acheteur paiera simplement la différence au vendeur, dans le cas contraire, c'est le vendeur qui paiera l'acheteur.

Dans le cas d'Hinkley Point, le vendeur est l'exploitant de la centrale : NNB Generation Company, une filiale d'EDF Energy créée pour construire et exploiter de nouveaux réacteurs en Grande Bretagne. L'acheteur est la Low Carbon Contracts Company (ou LCCC), une entreprise appartenant à l’État britannique et financée par un prélèvement sur la facture des consommateurs d'électricité.
Le contract for difference est d'une durée de 35 ans à partir de la mise en service de la centrale, il fixe un prix du mégawatt-heure à 92.5 livres sterling de 2012. Ce prix est indexé sur l'inflation et sera abaissé de 3£/MWh si de nouveaux EPR sont construits en Grande Bretagne.
Aux termes de ce contrat, l'électricité produite par la centrale d'Hinkley Point C sera vendue sur le marché de gros, si le prix du marché est inférieur au strike, la LCCC remboursera la différence à l'exploitant. Si le prix est supérieur, c'est NNBG qui reversera l'excédent à la LCCC.

Explication du montage financier de la centrale nucléaire d'Hinkley Point C : le contract for difference
Principe du "contract for difference", mécanisme utilisé pour le financement d'Hinkley Point




Un contrat trop généreux ?


Le contrat de différence n'est pas réservé à Hinkley Point ou au nucléaire. Il est largement utilisé par le gouvernement britannique pour financer les énergies décarbonées : en 2015, des CfD ont été attribués à 27 projets d'électricité renouvelable représentant plus de 2GW.
Dans cette liste, seuls les projets d'éolien off-shore et de pyrolyse/gazéification des déchets bénéficient de tarifs supérieurs à 92.5£/MWh. Sur les 27 CfD attribués en 2015, 22 ont un prix garanti inférieur à celui d'Hinkley Point : les projets solaires photovoltaïques se situent entre 50 et 79£/MWh, l'éolien terrestre entre 79 et 83, etc.

Comparaison entre le prix de l'électricité nucléaire d'Hinkley Point et celui de projets solaire, éolien ou biomasse



Rien de surprenant dès lors que le prix garanti de 92.5£/MWh pendant 35 ans fasse hurler en Grande Bretagne. D'autant qu'il est nettement supérieur au cours actuel de l'électricité, entre 30 et 40£/MWh.

Pourtant le gouvernement britannique a pris deux précautions supplémentaires pour éviter qu'EDF réalise des profits indus :
  1. Si la construction de la centrale coûte moins cher que prévu (on peut rêver !), les économies seront partagées à parts égales entre NNBG et la LCCC. Au-delà d'un certain seuil (qui n'a pas été rendu public), la LCCC empochera 75% des gains.
  2. Si le retour sur investissement est supérieur à celui prévu (11.4%), la LCCC en récupérera 30%. S'il dépasse 13.5%, la part de la LCCC passera à 60%. Ce mécanisme de gain-share restera en vigueur pendant toute l'exploitation de la centrale, même après la fin du tarif garanti. Il a été durci sous pression de la Commission Européenne : initialement le gain ne devait être partagé que au-delà de 15% de retour sur fonds propres.
Notons également que, en cas de retard excessif, le gouvernement britannique peut annuler le CfD et donc le tarif garanti. Il y a donc un vrai risque pour EDF dans la mesure où aucun des 4 EPR en construction n'a été achevé pour l'instant. La date à partir de laquelle cette annulation devient possible figure dans le contrat mais elle est protégée par le secret des affaires. Les actionnaires et les salariés d'EDF n'ont qu'à croiser les doigts...


Un précédent intéressant


Quoiqu'on pense du projet lui-même, le montage contractuel d'Hinkley Point mérite qu'on s'y attarde un instant. Il constitue en effet un précédent intéressant pour toutes les filières, trop risquées ou trop chères, qui ne peuvent pas se développer en comptant seulement sur le marché de l'électricité. Ce système ayant été validé par la Commission Européenne, il pourrait servir de modèle pour d'autres pays sur le Continent.
D'autant que la Commission fait désormais la chasse aux tarifs de rachats garantis (ou feed-in tariff), le mécanisme utilisée jusqu'à présent pour soutenir les énergies renouvelables notamment en France et en Allemagne. La différence entre les deux systèmes est subtile : pour les feed-in tariff, l'électricité est vendue au réseau à un prix convenu par avance alors qu'avec un CfD l'électricité est vendu au prix du marché puis l'écart avec le strike price compensé. Pour le reste, c'est toujours l’État qui intervient pour choisir les projets et garantir un tarif à l'exploitant, et toujours le consommateur final qui paie via un prélèvement sur sa facture d'électricité.

Les contrats de différence, comparables à celui d'Hinkley Point, pourraient donc s'imposer dans les années qui viennent comme la nouvelle méthode d'intervention des États européens dans le secteur de l'électricité. Peut-être se souviendra-t-on alors avec ironie que le pays qui a inventé le CfD fut peu de temps auparavant le plus fervent avocat de la libéralisation du marché de l'énergie...


Publié le 25 juillet 2016 par Thibault Laconde


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