Thursday, October 8, 2015

Réchauffement climatique anthropique depuis quand sait on ce qui nous attend


L'actualité est pleine de rebondissements : le 5 novembre 2015, le procureur de New York ouvrait une enquête à l'encontre d'ExxonMobil, la plus grande compagnie pétrolière cotée de la planète. Pourquoi donc ? Parce que des documents ont montré que les chercheurs employés par Exxon avaient averti l'entreprise dès 1977 des effets néfastes de la combustion d'hydrocarbures sur le climat. Ainsi informée, elle a dépensé des millions de dollars pour retarder la prise de conscience des consommateurs et des pouvoir publics. Jusque là rien d'anormal. Mais si, par malheur, Exxon a aussi menti à ses investisseurs cela devient une fraude financière, péché mortel dans la ville de Wall Street.

Le pétrolier savait donc depuis les années 80 qu'il détraquait le climat ! Le lecteur ne s'était pas plus tôt remis de cette révélation que l'American Association for the Advancement of Science, la plus grande société scientifique au monde, célébrait l'anniversaire d'un rapport mettant en garde contre la changement climatique et remis au président Johnson le 5 novembre... 1965.

1977 ? 1965 ? On s'y perd... Depuis quand sait-on vraiment que nos émissions de gaz à effet de serre dérèglent le climat ?


L'effet de serre, c'est tellement XIXe siècle...


En fait, l'histoire commence bien avant en 1824. A l'époque le bon roi Louis XVIII vient de mourir dans son lit et Charles X lui succède, Victor Hugo est un jeune romancier médiocre et, à l'École Polytechnique, Joseph Fourier est bien embêté...

Découverte de l'effet de serre par Fourier - Remarques générales sur les températures du globe terrestre et des espaces planétairesFourier est un immense mathématicien et physicien français du début du XIXe siècle, on lui doit notamment des travaux sur la chaleur et les transferts d'énergie. Or justement, il calcule que, compte-tenu du rayonnement qu'elle reçoit du soleil, la terre devrait être beaucoup plus froide.
Afin d'expliquer ce décalage, il propose une théorie. Selon ses propres mots : "La température peut être augmentée par l’interposition de l’atmosphère, parce que la chaleur trouve moins d’obstacle pour pénétrer l’air, étant à l’état de lumière, qu’elle n’en trouve pour repasser dans l’air lorsqu’elle est convertie en chaleur obscure."

Remplacez "chaleur obscure" par l'appellation moderne "rayonnement infrarouge", et voici publié dans un article de 1824, la première description de l'effet de serre qui nous est si familier aujourd'hui.
Un autre français, Claude Pouillet, développe en 1838 l'idée de Fourier. Il fait notamment l'hypothèse que seuls certains gaz, dont la vapeur d'eau et le dioxyde de carbone, sont capables d'intercepter le rayonnement infrarouge.

Le dioxyde de carbone est un gaz à effet de serre et la combustion de charbon qui s'est accéléré depuis le début de la Révolution Industrielle en rejette de grandes quantités... A ce stade, il ne reste plus qu'à relier les points.
C'est fait dès le milieu du siècle. En 1855, comme beaucoup de ses contemporains, Eugène Huzar s'inquiète des "changements climatériques" dans un essai à succès titré La fin du monde par la science. Il y note : "Vous pouvez prédire que dans cent ou deux cents ans le monde, étant sillonné de chemins de fer, de bateaux à vapeur, étant couvert d’usines, de fabriques, dégagera des billions de mètres cubes d’acide carbonique et d’oxyde de carbone, et comme les forêts auront été détruites, ces centaines de billions d’acide carbonique et d’oxyde de carbone pourront bien troubler un peu l’harmonie du monde." Plutôt bien vu, non ?

A l'époque, il ne s'agit encore que de théories et d'hypothèses. Mais plus pour très longtemps : en 1859, le physicien Irlandais John Tyndall construit un des premiers spectromètres et confirme expérimentalement que la vapeur d'eau et le dioxyde de carbone ont bien la propriété prévue par Fourrier et Pouillet d'intercepter une partie du rayonnement infrarouge. Il en profite pour allonger la liste des gaz à effet de serre en mesurant, outre la vapeur d'eau et le dioxyde de carbone, les coefficients d'absorption du méthane et de l'ozone.

La question qui se pose à partir de cette date n'est déjà plus celle de l'existence de l'effet de serre mais de la sensibilité climatique. En d'autres termes : les émissions humaines de ces gaz sont-elle suffisantes pour modifier significativement le climat ?
En 1896, le chimiste suédois (et un des premiers Prix Nobel) Svante Arrhenius donne la première réponse à cette question : il calcule que le doublement de la concentration en dioxyde de carbone entrainera une hausse de 4°C de la température moyenne. Ce résultat est remarquablement proche de ceux que nous obtenons aujourd'hui avec des modèles bien plus élaborés


Pourquoi n'a-t-on rien fait avant ?


Toutes les bases physiques pour prévoir que les activités humaines vont réchauffer la planète sont donc en place dès la fin du XIXe siècle. Et ces travaux ne sont pas confinés dans quelques laboratoires : les calculs d'Arrhenius sont largement publiés et discutés dans les revues scientifiques de l'époque (par exemple ici en 1901 par un autre éminent savant suédois Knut Angstrom) et dès le début du siècle on trouve l'information dans des journaux destinés au grand public :
Article sur le changement climatique anthropique dans un magazine du début du XXe siècle
Article publié dans Popular Mechanics en mars 1912 (version complète ici)


Alors pourquoi ne s'inquiète-t-on pas plus à l'époque ? C'est que, même si il est possible de prévoir l'élévation de la température moyenne et les grandes caractéristiques du changement climatique à venir (réchauffement plus rapide aux pôles, augmentation des précipitations...), il est encore difficile au début du XXe siècle d'en saisir la portée catastrophique.

Pour cela il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre Mondiale et le développement des systèmes d'observation météorologiques (stations, radars puis satellites), les progrès de la paléoclimatologie et surtout les premiers ordinateurs. En effet les simulations climatiques nécessitent une puissance de calcul telle qu'elles étaient hors de portée avant l'apparition de l'informatique.
Les progrès reprennent donc dans les années 50 après presque un demi-siècle de pause. C'est à cette époque que sont mis au point les premiers modèles de circulation générale à l'Université de Princeton. Et en 1957, Charles Keeling installe à Mauna Loa (Hawai) le premier observatoire capable de mesurer le taux de dioxyde de carbone dans l'atmosphère. La "courbe de Keeling" enregistre depuis, avec une régularité de métronome, la hausse de la concentration en CO2 dans l'air.

Dans les années 70 et 80, le climat devient un réel sujet de préoccupation et plusieurs rapports sont demandés à l'Académie des Sciences américaine. Ils convergents vers une augmentation de la température de 2 à 3°C en 2050 avec la possibilité d'une hausse beaucoup plus forte. C'est par exemple le cas du Rapport Charney remis en 1979.
A la même époque, l'Organisation Météorologique Mondiale organise une série de conférences sur le climat qui préfigurent le GIEC. Elle le cofondera en 1988 avec le Programme des Nations-Unies pour l'Environnement.
Résolution 43/53 de l'AGNU : le climat préoccupation commune de l'humanité
Extrait de la résolution 43/53 de l'AGNU
La même année, l'Assemblée Générale des Nations-Unies déclare que le climat est une "préoccupation commune de l'humanité" (Résolution 43/53). A ce moment, la question du changement climatique anthropique sort du domaine scientifique pour entrer de plain pied dans le champ politique et diplomatique.


En conclusion ?


Alors depuis quand sait-on ? Depuis les premières prévisions d'Arrhenius ? Depuis les rapports alarmistes qui se sont multipliés à partir des années 60 ? Depuis que la communauté internationale a reconnue l'importance du sujet ? Depuis que les économistes s'en sont emparés, notamment que William Nordhaus a identifié le changement climatique comme le seul problème environnemental capable de déstabiliser l'économie mondiale ?

En fait, le sujet n'est pas là. La vraie question, c'est quel niveau de précision et de certitude nous faut-il pour passer à l'action ? Peut-on même accepter collectivement la réalité d'un phénomène qui remet à ce point en cause notre vision du monde ?

Publié le 6 novembre 2015 par Thibault Laconde, dernière mise à jour le 2 novembre 2016




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