Friday, August 3, 2012

Brexit quels effets pour le secteur de lénergie


Le secteur de l'énergie va, comme beaucoup d'autres être touché directement, par la victoire du Brexit au referendum du 23 juin. Et pourtant, la aussi comme beaucoup d'autres, cette question n'avait été abordée que de façon indirecte et confuse pendant la campagne (avec des prises de positions aussi fortes que celle pour l'ampoule 60W ou le grille-pain britannique).
Maintenant que le départ de la Grande Bretagne n'est plus de la science-fiction, il est est temps de se pencher sur ses conséquences.

Vous pouvez également retrouver les points clés de cet article dans mon interview pour Politiques Energétiques :



Brexit mode d'emploi


Commençons par une question d'ordre général : Que va-t-il se passer après le vote de jeudi ? Probablement une action en deux temps : un divorce suivi d'une réconciliation.

Electricité, gaz, pétrole, climat... Quelles seraient les conséquence du brexit pour l'énergie ?
Coté divorce, il existe une procédure basée sur l'article 50 du traité de Lisbonne : la Grande Bretagne devrait notifier son intention au Conseil européen puis négocier les modalités de son retrait qui prendrait effet par défaut 2 ans plus tard.
Il semble cependant possible que le vote du 23 entraine une chute du gouvernement au profit de la droite europhobe et que les nouvelles autorités ne soient pas prêtes à jouer selon les règles. Celles-ci pourraient refuser d'invoquer l'article 50 et se contenter de ne plus appliquer les traités et les directives qui lui déplaise. Dans ce cas une bataille juridique et diplomatique s'engagerait. Cette option rendrait la démarche plus longue et plus incertaine.

Un des enjeux ensuite sera de savoir quels liens la Grande Bretagne va garder avec l'Union Européenne. Par défaut, les Accords de l'OMC s'appliqueraient. Mais ceux-ci sont beaucoup moins favorables que le régime actuel. Le Royaume Uni va aussi perdre le bénéfice des accords commerciaux entre l'UE et des pays tiers, par exemple avec la Corée, l'Afrique du Sud et plusieurs pays d'Amérique Latine.
Il est donc probable que le Royaume Uni voudra rétablir rapidement son accès au marché unique.

En bref, quatre solutions sont envisageables (éventuellement simultanément) : 
  • Rester dans le cadre des accords de l'OMC, les produits exportés vers l'UE, qui circulent actuellement librement, se verraient alors appliquer des droits de douane (en moyenne 1.5%) ainsi que des barrières non-tarifaires (par exemple la vérification de leur conformité aux normes européennes). Pire : les services, dont les services financiers si chers à la City, ne sont pas inclus dans les accords de libre échange.
  • Négocier un accord bilatéral avec l'Union, une solution flexible adoptée par la Suisse mais nécessitant que Londres s'entendent avec les 27 États restant.
  • Adhérer à l'Association européenne de libre échange (AELE), qui permet aux produits d'accéder marché unique à condition de respecter les normes européennes mais ne concerne pas les services.
  • Adhérer à l'Espace économique européen (EEE), la forme d'association la plus étroite adoptée par la Norvège : la Grande Bretagne retournerait dans l'union économique mais serait obligée de contribuer au budget européen et d'appliquer les politiques de l'Union, sans avoir son mot à dire dans leur élaboration. 
L'effet du Brexit à long-terme va largement dépendre de la solution négociée entre le gouvernement britannique et ses partenaires éconduits réunis au sein du Conseil Européen. Autant dire plusieurs années de pourparlers rugueux - probablement entre 2 ans et une décennie - avant d'arriver à un nouveau régime stable.



Conséquences du Brexit pour l'électricité


C'est la première conséquence du Brexit : l'incertitude. Cette atmosphère a pour effets - observables avant même le referendum - de geler les projets et d'augmenter le coût du capital. L'augmentation des risques pousse les investisseurs à exiger plus de garanties et des rendements plus élevés.
Le secteur de l'énergie, qui nécessite d'immobiliser des capitaux importants, va être particulièrement affecté. D'autant que la sortie de l'UE privera aussi le Royaume Uni des financements de la Banque Européenne d'Investissement (7 milliards d'euros injectés dans l'économie britannique en 2014 dont la moitié dans l'énergie). En cas de non-adhésion à l'EEE, le soutien européen aux projets d’intérêt commun serait également perdu.

Le secteur électrique est très exposé car d'importants investissements sont nécessaires pour remplacer des centrales (charbon et nucléaire) vieillissantes et développer les interconnexions avec le continent. Entre 14 et 19 milliards de livres doivent être investis chaque année d'ici à 2020, soit en plein pendant la période d'inconnu. Le Brexit va donc avoir pour effet immédiat de renchérir le coût du parc électrique britannique. Les filières les plus intensives en capital, comme le nucléaire ou l'éolien off-shore, seront probablement les plus défavorisées.
De plus, la sortie de l'UE va entrainer une dévaluation de la livre sterling et, si l'option OMC est retenue, des droits de douane sur de nombreux produits dont par exemple les transformateurs électriques, les turbines et les réacteurs. Cela augmentera encore le coût des équipements et services importés. Pour mémoire, parmi les 6 principaux électriciens du Royaume seuls 2 sont britanniques : Centrica et SSE. EON/Uniper et RWE sont allemands, EDF Energy est français et, malgré son nom, Scottish Power appartient à l'espagnol Iberdrola.


Le problème des interconnexions


Déjà aujourd'hui, la production d'électricité britannique est insuffisante pour satisfaire sa consommation : la Grande Bretagne importe près de 20TWh par an, soit plus de 5% de sa consommation, principalement de France et des Pays Bas. Les lignes électriques la reliant au continent sont aussi cruciales pour équilibrer le réseau.

Six nouveaux projets d'interconnexion avec l'UE et trois avec des membres de l'Espace économique européen sont en cours de développement, soit un total de 9.9GW. De quoi plus que tripler la capacité la capacité des lignes électriques relient la Grande Bretagne à ses voisins.
Mais ces projets sont couteux (les nouvelles interconnexions prévues avec la France à elles seules devraient couter près de 2 milliards d'euros) et ils ont un statut international complexe. Ils vont probablement être gelés en attendant que le cadre réglementaire soit clarifié, avec pour effet une dégradation de la sécurité énergétique dans les iles britanniques.

Projet d'interconnexions électriques entre l'UE ou l'EEE et la Grande Bretagne
Interconnexions avec la Grande Bretagne en service ou en projet

Enfin, si elle n'est pas suivie par l'adhésion à l'Espace économique européen, la sortie de l'UE entrainera la sortie du Marché intérieur de l'énergie. Ce système permet notamment le couplage des marchés de l'électricité et facilite l'équilibrage transfrontalier. Quitter le marché intérieur de l'énergie, rendrait l'équilibrage du réseau britannique encore plus difficile et tirerait les prix de l’électricité vers le haut.

Un point positif cependant : quelle que soit la formule retenue après le Brexit, les échanges d'électricité (tout comme ceux de pétrole, de gaz ou de charbon) entre la Grande Bretagne et l'UE ne devraient pas être soumis à des droits de douane. 


Quels effets sur le gaz et le pétrole ?


La Grande Bretagne reste un producteur modeste de gaz et de pétrole : de l'ordre de 1% de la production mondiale pour l'un et l'autre. Même si ces secteurs vont subir les mêmes effets - incertitude réglementaire, capital et importations plus onéreuses - les conséquences du Brexit seront plus limitées pour le pétrole et le gaz.
En effet, la Grande Bretagne dispose déjà d'infrastructures suffisantes (stockage, interconnexions, terminaux méthaniers...). Par ailleurs, la moitié du gaz consommé en Grande Bretagne est produit dans le pays qui bénéficie d'approvisionnements relativement diversifiés pour l'autre moitié.

Londres y laissera quand même probablement son rôle de bourse européenne du gaz. La domination britannique est déjà sévèrement concurrencée par les Pays Bas. Les volumes échangés sur le marché néerlandais, la Title Transfer Facility, ont dépassé pour la première fois ceux de son homologue anglais en décembre 2015. Les incertitudes et le risque de change lié au Brexit vont certainement achever de faire basculer les échanges de gaz vers le continent.


Climat et environnement


La sortie de l'Union Européenne va libérer le Royaume Uni des normes environnementales européennes et d'une partie de ses engagements climatiques (par exemple la directive sur les énergies renouvelables ou celle sur les émissions industrielles). Ce facteur peut être vu comme une opportunité par certaines entreprises mais sa portée sera probablement limitée parce que les objectifs environnementaux du Royaume ont été contractés hors du cadre européen et/ou retranscrits dans la loi nationale, par exemple par le Climate Change Act de 2008.
Le Brexit va cependant rendre ces objectifs plus difficiles à atteindre. En effet, des retards d'investissements dans la production électrique et les interconnexion vont rendre nécessaire l'allongement de la durée de vie des centrales thermiques existantes.

Quoiqu'il en soit, la sortie de l'UE va aussi entrainer une révision des politiques climatiques. La Grande Bretagne devra par exemple être retirée de l'INDC européenne et formaliser ses propres engagements dans le cadre de l'Accord de Paris. De plus, elle va probablement perdre au moins temporairement son accès au marché européen du carbone - ce qui représente un risque financier pour les entreprises qui détiennent des permis d'émissions.


Conséquences du Brexit pour l'énergie en dehors des iles britanniques


Au moins à court terme, le Brexit va entrainer une hausse du dollar et avoir un effet négatif pour l'économie britannique et dans une moindre mesure européenne. Combinée à d'autres facteurs comme le redémarrage de la production américaine, ces facteurs vont tirer le prix du pétrole vers le bas (un phénomène déjà observé depuis mi-juin). Cela va aggraver la situation déjà très fragile des producteurs, notamment les producteurs d'hydrocarbures non-conventionnels américains et des pays comme le Nigeria ou le Venezuela.

Enfin le départ de la Grande Bretagne modifiera les équilibres politiques au sein de l'Union Européenne. La libéralisation des marchés de l'énergie, l'exploitation des hydrocarbures non-conventionnels ou l'ambition climatique, des positions dont Londres s'est depuis longtemps fait l'avocat, sortiront affaiblies du referendum britannique. La France va aussi perdre un allié de poids face à la position anti-nucléaire de l'Allemagne.


Publié le 20 juin 2016 par Thibault Laconde, mis à jour le 24 juin 2016



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