En ce moment-même, comme chaque année, la mousson parcourt la Chine. S'engageant via la plateau tibétain pour la mousson indienne et la cote entre Canton et Shanghai pour la mousson sud-est asiatique, des masses de nuages remontent les 35 parallèles que couvrent le territoire chinois actuel - autant que de Nouakchott à Dublin !
Cette mousson d'été apporte à la Chine une bonne partie de ses précipitations annuelles et cette part augmente au fur et à mesure qu'elle remonte vers les régions arides du nord. A Pékin, par exemple, plus des deux-tiers des précipitation annuelles sont reçues en juillet et août.
Les variations de la mousson chinoise
On peut imaginer les conséquences si la mousson d'été s'affaiblissait et ne parvenait plus à atteindre ces régions... Or c'est précisément ce qui s'est passsé à plusieurs reprises au cours des deux derniers millénaires.
L'étude des dépots minéraux dans les grottes (Zhang et al., 2008) permet de reconstituer le niveau des précipitations avec un précision de 2 à 3 ans. Elle fait apparaitre de nettes variation dans le volumes des précipitations avec, notamment, une période plus humide pendant l'optimum climatique médiéval et une autre plus sèche pendant le petit age glaciaire. Cette reconstitution est confirmée par d'autres proxys (comme les sédiments lacustres) et aussi - en cela la Chine est unique - par les archives administratives.
Changement climatique et "mandat du Ciel"
L'histoire chinoise est une histoire d'alternances entre des dynasties fastes regnant sur une Chine unifiée et prospère et des décennies voire des siècles de chaos où des prétendants au trone s'affrontent au prix parfois de millions de morts.
Or la légitimité des empereurs chinois est basée sur le concept confucéen de "mandat du Ciel" : le Ciel approuve les dirigeants sages et vertueux mais peut retirer son approbation s'ils se conduisent mal. Dans ce système, les phénomènes naturels sont interprétés comme traduisant le jugement céleste, certains sont auspicieux d'autres, comme les innondations et les famines, traduisent sa réprobation et rendent légitime le renversement de la dynastie au pouvoir. En vertu de ce principe, les grandes catastrophes naturelles étaient souvent suivies d'insurrections populaires.
Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que l'affaiblissement de la mousson d'été corresponde à des périodes de chaos. C'est notamment le cas lors de la chute de la dynastie Tang, un des âges d'or de la civilisation chinoise. Elle est suivie par 70 années de division (les "cinq dynasties et de dix royaumes") et la Chine n'est réunifiée qu'au moment où les précipitations reviennent à leur niveau normal. Un scénario similaire se retrouve à la fin des dynasties Yuan et Ming.
Adaptation
Cependant, la correspondance n'est pas parfaite : dans certains cas, les périodes d'instabilité interviennent plusieurs années après la baisse des précipitations, voire pas du tout...
Cela est peut-être du aux mesures d'adaptation mise en place par l'administration chinoise (Fan, 2009). Il en existe principalement deux. D'abord la création de stocks importants qui permettent d'alimenter la population en période de disette, ces stocks peuvent expliquer un décalage de 5 à 10 ans entre la baisse des précipitations et le début des troubles.
Ensuite, il y a le Grand Canal. Une voie d'eau artificielle coupant la Chine en deux sur près de 2000 kilomètres de Pékin à Hangzhou (près de Shanghai). Sa construction a débuté dès l'antiquité et s'est poursuivie pour atteindre ses dimensions actuelles autour du VIIe siècle. Cette infrastructure extraordinaire permettait de transporter d'immenses quantités de nourriture du centre de la Chine vers le nord : jusqu'à 300.000 tonnes de grains atteignaient Pékin chaque année par cette voie. Une telle capacité de transport permettait, aussi longtemps que les récoltes étaient bonnes au sud, d'alimenter les régions moins favorisées du nord.
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Le Grand Canal aujourd'hui |
Conclusion
La variation de la mousson d'été semble bien avoir joué un rôle important dans l'histoire chinoise. Elle montre comment un empire aussi puissant et organisé que la Chine a pu tenter de s'adapter à la variabilité de son climat, tout en y restant très vulnérable. Elle montre aussi, encore une fois, que les effets d'un changement climatique sur une société sont complexes et difficilement prévisible : le système politique, la culture, l'organisation administrative peuvent les réduire, ou au contraire les aggraver...
Cet article fait partie d'une série consacrée aux conséquences des changements climatiques passés pour les sociétés qui les ont subi. Déjà parus :
- Quelques degrés de plus, opportunité ou menace (pour l'homme préhistorique)
- Quand les résistances sociales sont trop fortes : l'effondrement de la colonie viking du Groenland